Ci-dessous l’éditorial du numéro 250 de la Revue Française du Marketing et 4ème numéro de cette année 2014. Vous souhaitez vous abonner ou acheter un article en particulier ?
http://www.adetem.org/xwiki/bin/view/NBAdetem/Revue
Deux des plus grands défis du marketing concernent la révolution introduite par les technologies digitales dans la communication, la diffusion des offres de produits et de services et la préoccupation de plus en plus forte des consommateurs pour les problématiques de santé liées à leur alimentation. Derrière le formidable progrès technologique ou industrielle se cache en réalité une interrogation légitime : l’innovation est-elle au service de l’homme appréhendé tant dans son intégrité physique, psychique que morale ?
Le premier article traite du respect de la vie privée et d’un étonnant paradoxe. Alors que les institutions sont de plus en plus préoccupées par les actes de violation de la vie privée des Internautes, comment justifier dès lors le comportement des bloggeuses dans l’univers de la mode et de la beauté qui choisissent d’exposer volontairement leur vie privée pour persuader leur public ? C’est le sujet qu’ont choisi de traiter Christel de Lassus et Maria Mercanti-Guérin, respectivement maîtres de conférences à Paris-Est et au CNAM. C’est a priori le fait de dévoiler sa vie privée à son audience qui entraîne la création d’un lien de confiance et d’un lien affectif suffisamment fort pour convaincre l’internaute. Dans un premier temps, les auteurs dressent un état de l’art sur les définitions et les implications du concept de vie privée, dont ils soulignent à juste titre l’étendue allant du respect de l’intimité au droit au secret. Ils s’intéressent ensuite aux motivations et aux antécédents qui peuvent amener un individu à choisir d’exposer sa vie privée, dans une sorte de mise en scène particulièrement prisée des bloggeuses de mode. L’une des motivations centrales semble être la volonté de créer au-delà de l’audience du lien social et de la persuasion. Puis les auteurs conviennent que le point de vue du lecteur du blog sur cette exposition à la vie privée reste un domaine peu étudié. Ils choisissent dans un premier temps de mener 18 entretiens qualitatifs d’une durée de 1h30 en moyenne. La conclusion est effectivement que dans l’univers de la mode et de la beauté, la confiance passe par la révélation d’éléments de vie privée. Pour aller plus loin, les auteurs mobilisent une littérature plus classique sur les routes de persuasion publicitaire afin de proposer un modèle de l’influence de l’exposition de la vie privée de la bloggeuse sur la confiance et la persuasion, l’idée centrale étant que l’exposition à la vie privée est un facteur de la confiance générée par le blog dans l’univers de la mode et de la beauté. Les auteurs mobilisent l’échelle de Leung (2002) sur la mesure de l’exposition perçue et l’échelle de mesure de la confiance de Bartokowski, Chandon et Müller (2002). Comparant les résultats sur deux types de blogs, impersonnel d’un côté et exposant volontairement la vie privée de son auteur de l’autre, les auteurs montrent que les routes de persuasion sont ici différentes (le type de blog jouant le rôle de variable modératrice). Ils concluent que l’exposition perçue de sa vie privée est une variable qui génère une confiance accrue à l’égard d’un blog et joue un rôle modérateur dans les différentes routes de persuasion. En conclusion, le fait de se dévoiler peut pour la bloggeuse relever d’un choix assumé de stratégie commerciale, une perspective managériale s’offrant ainsi dans la relation qui peut s’établir entre les marques, les bloggeuses et leur public.
De plus en plus de marques développement des outils virtuels d’essai ou d’évaluation de leurs offres. Le deuxième article écrit par Margot Racat, doctorante à l’IAE de Lyon et Sonia Capelli, professeur à l’IAE de Lyon, vise à comprendre la façon dont les consommateurs s’approprient les outils virtuels d’évaluation des produits en ligne et l’influence qu’ils peuvent exercer dans leur décision d’achat. Cette problématique relève d’une actualité forte à l’heure où magasins virtuels et physiques jouent sur leur complémentarité dans le parcours d’achat et où les technologies de réalité augmentée se diffusent largement. Alors quelle place pour les tests en ligne versus l’essai en magasin ? Complémentarité ou substitution dans l’univers des cosmétiques à l’heure du multicanal et du cross-canal ? Les deux auteurs choisissent de mener une expérimentation à l’aide d’un miroir de maquillage virtuel qui permet à la cliente de tester des produits de maquillage sur l’image de son propre visage, puis de choisir de les acheter soit en ligne soit en magasin. Logiquement, les auteurs montrent dans un premier temps que le choix d’acheter en ligne ou en magasin s’explique par une pondération différentes des critères de décision d’achat, le conseil et le test physique étant prioritaires dans la décision d’acheter en magasin. Plus intéressant, les auteurs montrent que le test du produit en ligne apporte une utilité à la fois hédonique et informationnelle à la cliente mais que seule l’utilité hédonique accroît l’intention d’acheter le produit en ligne plutôt qu’en magasin. Les attentes des consommateurs diffèrent donc bien entre achats en ligne et achats en magasin. Dans l’univers de la beauté, les sites Internet sont d’abord évalués sur leur fiabilité, les magasins sur leur valeur ajoutée d’essai du produit et de conseil de la vendeuse. En revanche, si un test virtuel est dans l’univers spécifique des cosmétiques évalué sur les deux dimensions, informationnelle et hédonique, seule la dimension hédonique s’impose sur le choix de l’achat en ligne. Une des limites de l’expérimentation menée, que soulignent également les auteurs, pourraient être sur le parti-pris dichotomique du choix – achat en ligne ou bien en magasin – alors que l’avenir pourrait précisément porter sur la répétition d’achats mixtes, tantôt en ligne tantôt en magasin.
Les professionnels de l’agroalimentaire le savent bien : un des enjeux pour cette filière est l’émergence d’une préoccupation forte des consommateurs quant à la relation entre leurs pratiques alimentaires et leur santé. Dans le cadre de cette prise de conscience, les aliments qui apportent un bénéfice santé occupent aujourd’hui une place centrale, délimitant un territoire de consommation alimentaire appelé aujourd’hui la consommation nutrition-santé (CNS). L’auteur Aina Ravoniarison, docteur en sciences de gestion à Paris 2, s’intéresse au rôle des traits de personnalité comme déterminant de la consommation d’aliments relevant de la nutrition-santé. S’inscrivant dans le champ de la psychologie sociale, cette recherche vise à une meilleure compréhension des facteurs qui expliquent ce changement de préoccupation alimentaire. L’auteur fait le choix de l’analyse d’un journal de bord personnel comme méthode d’introspection guidée afin d’explorer dans la durée les processus psychologiques intervenant dans cette expérience particulière de consommation. Une revue de la littérature sur le sujet met en avant le rôle prééminent accordé aux deux dimensions cognitives de l’acceptabilité et de la valorisation par les consommateurs dans le choix de consommation des aliments santé, privilégiant l’hypothèse d’un processus de décision parfaitement rationnel. Or l’approche expérientielle présente un cadre de recherche intéressant dans ce contexte, en élargissant le champ de considération au bien-être au-delà du seul bienfait pour la santé. L’intérêt est ici d’examiner les comportements à l’égard de la nutrition-santé « à la lumière des facteurs de personnalité différenciés ». Plusieurs dimensions sont retenues dont le désir de contrôle, l’attrait pour la nouveauté, le besoin d’approbation sociale via la conscience de soi privée ou publique, l’optimisme versus le pessimisme. 17 individus ont été recrutés pour leur implication particulière vis-à-vis de cette catégorie d’aliments. Ces personnes ont été invitées à tenir un tableau de bord pendant une durée de 15 jours, étape précédée et suivie d’une phase d’entretien individuelle. Au final, les résultats confortent l’impact significatif des traits de personnalité sur la consommation des aliments santé. L’influence des traits de personnalité apparaît toutefois contrastée en fonction de l’âge et du genre des personnes interrogées.
Pourquoi opposer sondage d’opinion et études marketing lorsque les méthodes statistiques sont si proches ? Nous avons choisi d’inclure dans ce numéro un article plus méthodologique établissant le lien entre l’univers des études marketing et celui des sondages politiques. C’est aussi le rôle dévolu à notre rubrique « Fenêtre sur… ». Daniel Bachelet, conseil en marketing et expert auprès de la commission des sondages, établit une passerelle intéressante entre la pratique statistique dans l’univers des études de marché et son extension possible au domaine des sondages politiques. Si la deuxième partie aborde le traitement particulier des non réponses, dont on sait qu’il est une préoccupation partagée des sondeurs d’opinion et des praticiens des études de marché, la 1ère partie en revanche est plus novatrice. Elle se propose d’appliquer à la méthode de calcul de report des voix entre candidats, une démarche particulière mise au point pour quantifier dans le domaine automobile les transferts entre modèles : cette méthode permet une estimation des pseudo-transferts entre les marques pour « déterminer l’ampleur de la part de marché d’un produit prise sur les produits de la même marque (cannibalisme), ce qui donne des références pour établir la rentabilité des investissements d’un produit futur ». La détermination d’indices d’intensité de la concurrence permet aussi de proposer une typologie fine des produits automobiles. Voilà qui ne manquera pas d’éveiller la curiosité de nos hommes politiques pour les futures batailles électorales qui se profilent !
Nous vous souhaitons à tous une bonne lecture et dans ce contexte de fin d’année de merveilleuses Fêtes de Noël. Nous aurons quant à nous le plaisir de vous revoir tous début 2015 pour le 5ème numéro de notre année calendaire. Il est déjà en préparation…. mais pas encore tout à fait sous presse.
Pr Philippe JOURDAN
Rédacteur en chef RFM
Associé Promise Consulting Inc.
Université Paris Est Créteil / IAE Gustave Eiffel